Le miroir d’Oedipe, seconde partie.

֎ La douleur de Mike Brant.

Ce soir du nouvel an avait pourtant bien commencé. Benoît, Michèle et leurs enfants étaient invités par un cousin de ce dernier à une soirée réunissant d’autres cousins-cousines ainsi que leur partenaire. Tous les participants ont affirmé que l’ambiance était très bonne et qu’ils s’amusaient beaucoup. Tout le monde buvait sauf Michèle qui devait conduire au retour.

Benoît semblait heureux dit l’une des cousines pour qui « il est un mec en or ».  Son frère expliqua aux policiers que Benoît l’avait épaulé lui et les siens lorsqu’eux aussi avaient perdu leur mère. « C’est le seul à nous avoir réellement aidé, il a été là comme un grand frère au point de devenir mon tuteur et m’a aidé à trouver du travail. »

La gentillesse de Benoît n’est pas la seule chose sur laquelle s’accordent ses cousins. Tous disent que s’ils sentaient bien une souffrance chez lui, personne ne savait à quoi elle était due.

Benoît parlait de sa mère aux policiers, aux psys, aux magistrats mais n’avait jamais été capable de le faire avec les gens dont il était le plus proche.

C’était peut-être pour ça qu’il était finalement impossible de dire si cet événement était tabou ou non.

La soirée du nouvel an battait son plein lorsque était passée une chanson de Mike Brant. Dès les premières notes, Benoît a sombré dans une profonde tristesse : sa maman adorait cette chanson. Les souvenirs remontèrent, l’injustice aussi et Benoît pleura.

Pourtant, plus tard, les invités trouvèrent qu’il allait beaucoup mieux. Au point d’être tous terriblement surpris d’apprendre le lendemain que Benoît avait failli tuer son père.

Michèle, elle, n’a pas été surprise.

Alors qu’elle était restée sobre toute la soirée pour pouvoir conduire, c’est Benoît dont l’état d’alcoolémie était bien avancé, qui prit le volant. Il parla de suicide durant tout le trajet et alla jusqu’à dire au-revoir à ses enfants, une fois la famille rentrée.

Ensuite, Benoît retourna seul dans sa voiture. Seul, mais avec une arme.

Il ne s’agissait pas d’une arme blanche ou d’un petit pistolet. Non, Benoît avait pris l’arme et les cartouches qu’il utilisait pour le ball-trap : un fusil à pompe.

Benoît passa un premier appel à sa compagne pour la prévenir, il allait désormais utiliser l’arme pour se tuer. Il raccrocha et pendant que Michèle tentait désespérément de le rappeler, le bruit d’un coup de feu interrompit le silence nocturne.

Puis plus rien. Jusqu’à cet appel sur le téléphone de Michèle : Benoît avait dévié sa tête de la trajectoire de la balle au dernier moment car il voulait faire quelque chose avant de se tuer. Exiger de son père la vérité sur la mort de sa mère.

Durant tout le trajet, Michèle tenta de le convaincre de revenir chez eux.

Elle était toujours au téléphone, quand Benoît s’adressa à son père en criant : « Tu vas me dire ce que tu as fait à ma mère ! La police a vu les coups sur maman ! ». Elle n’entendit pas les coups de feu ni la suite de la conversation à travers le téléphone.

Elle ne sut que plus tard que Benoît était ensuite allé voir sa sœur, Lucie. Sa grande sœur qui avait tenté de combler le vide laissé par l’absence de leur mère. Sa sœur vers qui Benoît se tournait lorsqu’il avait merdé et qui venait toujours aux audiences quand il était incriminé pour de menus larcins.

Sa sœur qui avait fini par couper les ponts avec ce frère dont le mal être ne semblait trouver aucune limite. Benoît s’était-il senti abandonné une seconde fois ce jour-là ?

A la présidente d’assises qui lui demandait pourquoi avait-il été chez sa sœur, Benoît répondit « Parce que j’avais fait le con. » Malgré les années de silence avec sa sœur, Benoît était allé chercher du réconfort auprès d’elle, comme un gamin auprès de sa mère.

C’est en sortant de chez elle pour aller voir leur père qui venait de l’appeler, que Lucie tomba nez à nez avec son frère armé. « J’ai eu l’impression qu’il s’était réveillé en me voyant. ». Lucie lui tourna le dos et rentra chez elle.

De retour chez lui, Benoît demanda à sa compagne de partir avec les enfants avant que la police n’arrive, il ne voulait pas que les enfants aient peur si l’interpellation venait à les réveiller.

֎ Les gardiens de la vérité.

C’est pendant que Michèle descendait avec leurs deux enfants endormis qu’une voiture de police est arrivée à côté de la voiture de Benoît. Deux policiers en sont descendus et ont inspecté la voiture. C’est Lucie qui les avait appelés.

La voiture étant ouverte, les policiers ont constaté l’absence d’arme malgré la présence d’une cartouche non loin d’un pneu.

Ils allaient remonter dans la voiture de police quand quelqu’un leur a hurlé « Hey, c’est ma voiture ! »

Au loin, dans l’un des immeubles qui les entourait, les deux policiers ont vu la fenêtre d’une pièce allumée. Était-ce l’instinct de survie qui les a poussés à rentrer le plus rapidement possible dans la voiture ? Le policier conducteur n’a pas fait une marche arrière comme lui a demandé sa responsable mais a avancé de quelques mètres pour faire demi-tour.

C’est là qu’ils ont entendu un bruit sourd, « comme une immense feuille d’aluminium qu’on froisse » expliqua le conducteur à la barre. Il tremblait en racontant et comme lors du témoignage de ses deux collègues, on sentait l’émotion toujours présente des années plus tard.

Sa collègue avait du verre dans la bouche et tous les deux étaient couverts de paillettes. Le conducteur amena la voiture plus loin, feux éteints.

Mais les trois policiers ne purent retrouver un certain calme que quelques instants car la peur les saisit brutalement lorsque quelques minutes plus tard, ils virent la voiture à cause de laquelle on leur avait tiré dessus, passer devant eux. Michèle en est sortie, un téléphone à la main et s’est dirigée vers la voiture de police en leur montrant qu’elle n’était pas dangereuse.

A l’autre bout du fil, Benoît qui put négocier avec les policiers de la BAC arrivés peu de temps après : il se rendait sans résistance mais ouvrait la porte de l’appartement afin que les policiers ne l’arrachent pas. Il voulait que ses enfants puissent revenir dans l’appartement ensuite.

Ce sont 44 impacts sur une soixantaine de billes qui ont atteint le pare-brise du véhicule de police. Si aucun n’a réussi à le traverser, l’expert en balistique estime que cinq mètres de distance en moins auraient pu être fatals aux policiers.

Bien que cela se soit passé en pleine nuit, la voiture de police était bien éclairée par les lampadaires quand Benoît lui a tiré dessus. L’expert en balistique est formel, Benoît a beau dire qu’il pensait avoir tiré vers le ciel, il fallait être un bon viseur pour atteindre le pare-brise situé à 50 mètres.

« Je ne visais pas les fonctionnaires de police, j’ai cru que c’était des voleurs, mais les photos sont là » a-t-il reconnu lors de sa 1ère audition devant le juge d’instruction. « Je regrette, je ne voulais pas leur faire de mal, c’est la plus grosse connerie de ma vie. Je dois assumer, je m’en veux parce que je sais ce que c’est de vivre avec un parent en moins. »

Était-ce parce qu’il était persuadé de ne pas avoir atteint son père que Benoît n’avait exprimé des regrets qu’envers les policiers ou en aurait-il été dépourvu même s’il avait atteint son géniteur ?

Lorsque Benoît a parlé aux policiers de la BAC via le téléphone de Michèle, il leur a dit que la Police n’avait rien fait pour sa mère 21 ans plus tôt.

De façon générale, je sais que j’ai parfois tendance à trop analyser, même si je dois dire que cela va mieux en vieillissant. Mais comment ne pas se demander, après avoir entendu cette phrase, si une part inconsciente de Benoît ne l’a pas convaincu de tirer sur les policiers pour les punir, eux qui avaient laissé libre le meurtrier de sa maman ?

Alors qu’il était agité pendant le témoignage de ses proches, Benoît est resté muet et la tête baissée pendant toute la durée des témoignages des policiers. Écrasé par la honte, Benoît aurait probablement tout donné pour être ailleurs.

֎ Le héros manqué de sa maman.

Ce ne sont pas moins de quatre spécialistes de l’humain, deux psychiatres et deux psychologues, qui sont venus déposer à la barre. S’ils se sont rejoints sur de nombreux points, chacun a permis un éclairage différent de l’affaire, tant par la personnalité de l’accusé que de la victime.

Tous s’accordent à dire que les manques affectif et éducatif de l’enfance de Benoît ont provoqué un déséquilibre psychique chez lui. S’il distinguait correctement ce qui était acceptable moralement et légalement de ce qui ne l’était pas et qu’aucun effet de l’alcool n’avait impacté ses capacités intellectuelles, Benoît souffrait d’après la 1ère psychiatre de « dé-liaison de l’appareil psychique ».

Si comme moi vous n’avez pas suivi de cours de psycho (ou si vous n’avez fait qu’un an avant de vous rendre compte que le FBI ne viendrait pas vous chercher comme profiler, ça ne compte pas non plus), vous serez vite perdu en tentant de comprendre sur internet de quoi il retourne.

L’un des aspects des procès consiste à s’assurer que tant les jurés que les parties civiles et l’accusé comprennent bien les experts appelés à la barre. Les magistrats y jouent un rôle fondamental et l’on peut aussi compter sur les questions du parquet et des avocats.

En outre, sur des notions aussi particulières, cela permet également aux magistrats et aux avocats de bien tout saisir.

L’appareil psychique nous permet de nous maîtriser face à une émotion plus ou moins forte. Lorsque votre partenaire vous quitte malgré vos efforts pour le rendre heureux, que votre patron vous refuse encore une augmentation alors que vous avez bossé comme un dingue ou qu’un cinglé manque de vous renverser avec un suv qu’il ne sait pas conduire, vous pouvez avoir envie de passer à l’acte et de lui jeter au visage ce téléphone qu’il aime plus que vous, de planter cette hache dans le bureau de votre patron (par exemple si vous travaillez au SDIS, true story) et de balancer votre sac à main tellement lourd qu’il donne l’impression de contenir un parpaing dans la vitre arrière de ce suv.

Mais vous ne le faites pas.

Parce que votre appareil psychique fonctionne, ce qui permet une vie en société.

 « Nous avons tous des émotions que nous retravaillons avec notre raison et nous réfléchissons aux conséquences de nos actions ».

Et c’est là que le bât blesse chez Benoît. Incapable de rationaliser et de verbaliser son ressenti, incapable de supporter la frustration, il passe à l’acte quelles qu’en soient les conséquences, conséquences qu’il n’arrive de toutes façons pas à anticiper. La psychiatre disposait d’un exemple tout trouvé, la « fuite » de Benoît quelques minutes plus tôt.

En effet, le deuxième jour d’audience a été émaillé d’interruptions dans les débats, illustrant tout à fait l’analyse de la psychiatre.

Benoît, submergé par ses émotions et incapable d’y faire face, s’était levé un certain nombre de fois non pas pour s’attaquer à la vitre qui le séparait du reste de la cour, non, mais au contraire pour faire volte-face et tenter de revenir dans la pièce jouxtant son box, une pièce sans fenêtre par laquelle les policiers l’amenaient dans le box. Ces derniers ont fait preuve d’une grande diplomatie pour lui faire comprendre qu’il s’agissait de son procès et qu’il était important qu’il y assiste.

Quand j’y pense, je n’ai jamais entendu Benoît se plaindre de la prison. Peut-être y trouvait-il un cadre émotionnel lui permettant de ne pas agresser l’autre. Ou lui-même.

Parce que lorsqu’il n’a personne à qui faire du mal, c’est sur lui que réagit Benoît.

La psychiatre ayant évoqué l’auto-apitoiement, l’avocate générale lui demanda si les tentatives de suicide étant dues au déséquilibre psychique ou à un besoin de se déresponsabiliser.

« Ses tentatives de suicide sont des gestes réactionnels pour décharger la tension émotionnelle : « Allez, je me suicide et je passe à autre chose ». »

Du peu que j’ai pu lire sur le sujet, je me souviens que contrairement aux adolescents et aux adultes, les enfants qui se suicidaient n’avaient pas conscience du caractère irréversible de la chose. Même dans ses tentatives de conduire à sa propre mort, Benoît semble être resté un enfant.

« A l’adolescence, on revit le fantasme œdipien et l’hostilité au père. » ajoute la 1ère psychiatre.

Pour le 1er psychologue, Benoît aurait dû être le héros protégeant sa mère du père meurtrier. Dès lors, il est impossible pour lui d’être heureux et d’avancer tant que le responsable n’est pas lui-même mort. En tuant son père, Benoît pourra se racheter auprès de sa mère qu’il n’a pas su protéger. « Il existe parce qu’il est le fils de l’homme qui a tué sa mère. »

Benoît ne semble donc pas exister pour qui il est lui-même. Le second psychologue ira plus loin, tant Benoît apparaît non pas comme l’incarnation d’un être humain mais d’un drame : « Il est cette certitude » (que son père a tué sa mère).

Lorsqu’il fait quelque chose de mal, Benoît a tendance à diluer sa responsabilité. Mais est-ce de l’immaturité ou est-ce parce que sa part de responsabilité estimée dans la mort de sa mère prend toute la place dans son cerveau, ne permettant pas aux autres d’exister ?

Benoît vit un deuil pathologique depuis 25 ans. « La mort est un présent perpétuel qui s’affiche en permanence à lui. S’il n’y pensait pas quotidiennement, ce serait comme trahir sa mère. » ajouta le psychologue et je me demandais comment cela pouvait être supportable de vivre ainsi.

Le suicide peut être une manière de mettre fin à une situation insoutenable.

Benoît a imaginé une autre voie : tuer celui à l’origine de cette souffrance. Tout en ayant besoin de lui.

Car c’est là toute l’ambiguïté de cette affaire. Benoît déteste un homme dont il cherche encore l’amour.

֎  L’oracle de Delphes.

Récemment je suis allée en Grèce et en voyant que j’avais publié une photo de l’oracle de Delphes, l’un de mes amis m’a rappelée que les parents biologiques d’Œdipe l’avaient consultée. C’est justement la réponse de la Pythie qui leur a fait abandonner leur fils.

Y a-t-il un meilleur mythe pour incarner la fatalité ? Cette inévitabilité dont semble totalement empreinte cette histoire familiale qui aurait pu être tragique, et qui a conduit à la Cour d’Assises un enfant de 12 ans enfermé dans le corps d’un homme de 37 ans.

Car il n’y a pas que la dualité que Franck semble avoir transmis à l’un de ses fils.

Franck a vécu une enfance heureuse jusqu’à ses 8 ans. 1er drame de son histoire, sa maman est décédée alors qu’il n’était encore qu’un jeune garçon. Puis c’est à l’âge de 12 ans qu’il perdit son papa. Impossible de ne pas penser à Benoît qui avait 12 ans au moment du décès de sa mère.

Des enfants que composait la fratrie, Franck est le seul à avoir été placé. Il a vécu cela comme un nouvel abandon, lui qui avait déjà vécu ce qu’aucun enfant ne devrait vivre.

Je me demande ce que Franck a dû ressentir lorsqu’il a pris la difficile décision de faire placer Benoît, parce qu’il n’arrivait plus à gérer ce fils écorché vif.

Et ce d’autant plus que de tous ses enfants, c’est lui qui lui ressemble le plus.

Comme Benoît, Franck porte en lui un certain fatalisme suite aux pertes de proches. « Une répétition de parcours » dira le second psychiatre.

Il ajouta à propos de Benoît que le suicide de sa mère, à supposer qu’il s’agisse bien d’un suicide, signifiait pour lui qu’il n’avait pas su la retenir. Que son existence n’avait pas suffit pour empêcher cette dernière de mettre fin à ses jours.

Dès lors Benoît s’était vu abandonné par sa mère et rejeté par son père. De ses propres mots, il s’était senti mis de côté par ce père dont il cherchait pourtant le soutien.

Au point de se croire insignifiant aux yeux du monde. Un jour, Benoît a utilisé de la mort aux rats parce qu’il ne méritait pas mieux pour mettre fin à ses jours. L’un des psychologues expliqua à la barre que malgré toute sa colère envers son père, Benoît considérait que tant que ce dernier ne lui donnait pas la reconnaissance qu’il espérait, il se considérait comme « pas grand-chose, voire comme un rat ».

La difficulté à s’exprimer est également l’un des points communs de ces deux hommes. Paradoxalement, c’est en tirant vers son père avec une arme à feu que l’inconscient de Benoît semblait avoir trouvé le chemin jusqu’au conscient pour enfin verbaliser des années de chagrin.

Que nous nous comprenions bien : je n’excuse pas les actes de Benoît. Il a failli tuer quatre personnes cette nuit-là. Il les a traumatisées ainsi probablement que sa compagne et leurs enfants.

Je ne fais que raconter une histoire judiciaire. Néanmoins, je ne peux évidemment pas être totalement neutre, je ne suis pas la journaliste d’un quotidien qui ne consacra que quelques lignes à ce procès (et qui malgré tout eu droit à une remarque par la sœur de l’accusé. Comme quoi, on peut être neutre et mal retranscrire les choses). Je ne suis ni journaliste, ni psychologue.

Pour autant, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander comment un humain pouvait bien se construire avec des sentiments aussi ambivalents. « Benoît est dans une ambivalence extrême entre un soutien paternel qu’il appelle et une haine qu’il dirige contre ce même père » déclara l’un des psychiatres.

Une ambivalence qui aurait pu trouver son apogée si Franck avait, cette nuit-là, avoué à son fils être responsable de la mort de sa mère. La question de ce qui aurait pu se passer dans cette hypothèse fut posée au second psychologue : 

« Je considère qu’il existe une probabilité de 50% sur chacun de ces deux choix :

  • Soit il aurait tué son père ;
  •  Soit il serait tombé dans ses bras. »

En écoutant le second psychiatre, j’écris dans la marge « BoJack Horseman ». Pour celles et ceux qui ne connaitraient pas, il s’agit d’une série animée pour un public plutôt adulte, dans laquelle le personnage principal a un profond mal être en lui. Dans l’un des épisodes, on comprend que sa mère a été mal aimée durant son enfance et qu’elle a reproduit la même chose avec lui.

Et alors qu’il met en place plusieurs actions pour aller mieux, elle l’appelle pour lui rappeler ce qu’elle lui a transmis, son mal-être et sa détresse : « Tu es né brisé, c’est ton droit de naissance. Et maintenant, tu peux remplir ta vie de projets, de tes livres et de tes films et de tes petites amies, mais ça ne te rendra pas entier. Tu es BoJack Horseman. Il n’y a pas de remède à ça. ».

Plusieurs fois, les professionnels de l’humain ont indiqué que Benoît et son père se voyaient l’un en l’autre, comme à travers un miroir. Une fatalité inexorable, une répétition à laquelle Benoît semble vouloir se soustraire sans y parvenir, jusqu’à copier son père en frappant sa compagne.

Car s’il n’est pas avéré que Franck battait sa femme, lorsque son avocat a tenté de nous prouver le contraire, c’est le terme « malaise » qui s’est figé dans mon crâne…

Lors du dernier jour du procès, cet avocat a demandé à ce que soient affichées sur les écrans trois photographies. Sur les deux premières, on voyait la fratrie souriante. Quand la troisième photo est apparue sur les écrans de télé de la Cour, j’ai regardé intensément les magistrats et les jurés en me demandant s’ils voyaient la même chose que moi. On y découvrait la maman de Benoît devant le sapin de noël, quelques jours avant sa mort. Elle ne souriait pas et surtout, avait un sacré œil au beurre noir. Pas le genre de marque qu’un coin de placard fait.

Gros silence dans la salle. Mon cerveau criait « On est d’accord qu’on est en train de regarder la photo d’une femme battue là ???!!! » en regardant les personnes présentes.

Aucune n’a réagi. Mais peut-être ne suis-je pas la seule à m’être dit que Benoît avait dit la vérité, au moins sur cet aspect.

Avant les plaidoiries des avocats, Benoît s’est exprimé une dernière fois. Cette fois, plus d’éclats de voix et plus de coups de sang. Pour autant, Benoît était un baril d’émotions lorsqu’il s’est excusé auprès des forces de l’ordre et de son père.

Un simple « Je suis désolé » peut suspendre le temps lorsqu’il est sincère et rempli de chagrin.

Alors que dans le silence total qui a envahi la Cour je m’étais rendue compte que j’avais cessé de respirer pour ne pas me laisser envahir par les émotions, je remarquais que le dos de la sœur de Benoît était secoué de sanglots. A ses côtés, leur père dont le dos ne s’agitait pas mais dont l’une des mains était collée à la bouche, comme pour retenir le chagrin que cet homme refusait, décidément, de lâcher.

La Présidente de la Cour suspendit l’audience.

Encore aujourd’hui, quatre ans plus tard, la simple évocation de ce moment remplit mes yeux de larmes.

Benoît a été condamné à 10 ans de prison et à 6 ans de suivi socio-judiciaire.

Publié par Odile

Juriste en droit de l'urbanisme et de l'immobilier, je suis bien loin du pénal. Certes, comme beaucoup de gens, certaines affaires criminelles éveillent ma curiosité. Mais ça n'est pas tant le crime que ce qu'il dit des êtres humains qui m'intéresse. Quant aux cold case, c'est ce que vive les proches et que je ne peux qu'imaginer, qui me donne envie d'écrire.

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